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LA SAVANE DE R. CONFIANT : ENTRE PLAISIRS, ÉMOTIONS ET FRANCHE RIGOLADE, TÉMOIGNAGE DE MARGARET TANGER

Date de publication
27 avril 2025

Bonsoir à Toutes et tous,

« LA SAVANE, Papa de Gaulle et la Négresse en déveine », tel est le titre du dernier, de Raphael CONFIANT, dont l’auteur a souhaité me réserver la primeur, à charge pour moi de partager avec vous, ses futurs lectrices et lecteurs, mes impressions de lecture !

J’ai conscience du privilège m’est fait, et en profite pour l’en remercier chaleureusement !

C’est aussi une joie de partager avec le public présent, les plaisirs et les émotions contrastés, mais aussi les moments de franche rigolade, suscités par la lecture de cet ouvrage !

Je vous avertis de suite… que c’est une présentation qui n’est ni scolaire, ni académique, je vous la présente « à ma façon ou encore à mon humeur ! »

L’auteur Raphael CONFIANT,

Connu de toutes et tous, est l’un de nos compatriotes, Martiniquais né au Lorrain, et reconnu comme étant l’un chef de file du mouvement littéraire de la « « Créolité » !

J’ai appris dans un documentaire rediffusé sur Martinique 1er le 31 mars dernier (et qui tombait à bien !), qu’outre ses origines africaines, il aurait eu une grand-mère chinoise et arrière-grand-père béké !

Enfin… ! Nul n’est parfait ! C’est une boutade bien entendu- j’espère ne blesser personne… !

C’est peut-être tout cela qui a fait de lui, ce qu’il est devenu, - et qu’il assume - « l’écrivain du bruit et de la fureur ».

« Je n’ai jamais eu peur de la page blanche », l’ai-je entendu proclamer !

Je veux bien le croire !!!

C’est près d’une centaine d’ouvrages qui sont à mettre à l’actif de celui qui est à ce jour - il rectifiera si je me trompe -, l’écrivain antillais, Martiniquais, le plus prolifique, sollicité par les maisons d’éditions les plus courues Grasset – Gallimard !

Et l’on se félicite qu’il soit finalement aller à l’encontre des espérances de son père qui le voulait « Préfet », je crois savoir d’ailleurs qu’il a fait sciences-politiques.. !!!

Mais, c’est encore de sa collaboration avec la maison d’édition CARAIBESEDITION, que seront publiées les plus belles pages de la mémoire collective populaire martiniquaise !

Selon lui, il s’agit de conter non pas une Martinique magnifiée, mais plutôt de « décrire la Martinique telle qu’elle est » !

 Comme l’expliquait l’auteur, ce livre s’inscrit dans son « projet balzacien » d’écrire non pas la Comédie humaine, mais la « Comédie créole » !!!

C’est en effet cette comédie créole, qu’il met en scène dans les 10 chapitres de ce livre de 183 pages, et qui constitue le TOME 1 d’une œuvre qui devrait en comporter beaucoup d’autres !

Divers personnages y sont convoqués :

  • La Savane, devant laquelle nous nous tenons,
  • Nestor, son pilier,
  • Frédéric Saint-Honoré, fils de Bâtonnier, jeune mulâtre engoncer dans les conventions de sa classe sociale,
  • Fils-du-diable en-personne, le nègre major, l’un des fiers à bras le plus redouté de l’En-ville, et son rival Bec-en-or, nègre major et fiers-à bras de son état.
  • Romule Casoar, le journaliste, rédacteur en chef du journal Le Rénovateur, à l’affut de toutes les indiscrétions, dont la passion est, comme il le disait, de « divulguer les grands et petits secrets des bourgeois » (57), et que les passages à tabac ne parviennent décidément pas à faire taire ;
  • Et, Honorine Amelya Vestale, mère de famille nombreuse, Négresse en déveine, en quête d’une vie plus stable, plus heureuse et sécurisante elle et pour ses enfants.

Chacun de ces personnages est porteur de son histoire personnelle, qui prend source dans leurs berceaux respectifs que constituent Foyal, son En-ville, ses quartiers bourgeois et populaires, ainsi les différentes communes de l’île !

Une histoire personnelle faite de fortunes et d’infortunes, de compères lapinismes, de drames et de déveines, chavirant leurs vies et celle de tous ceux qui croiseront leurs chemins !

LA NARRATRICE

L’originalité et la surprise de cet ouvrage, résident dans le fait que le narrateur ou la narratrice, n’est autre que LA SAVANE, elle-même !

Imaginez-vous, Mesdames et Messieurs !

La Savane, lieu où des générations d’êtres humains, de toutes origines, de toutes provenances, croyaient pouvoir se poser, se reposer, discuter, trafiquer, s’affronter, se bécoter et plus si affinité, tout cela en toute tranquillité, ou impunité …. !

Voilà que nous apprenons aujourd’hui, que durant tout ce temps, elle nous observait, elle nous écoutait, elle nous épiait, elle mémorisait, et, qu’un jour, elle se mettrait à nous dévoiler, à nous raconter, bref qu’elle nous mettrait à nu… !

Quoi ? Celle que nous prenions pour un objet inerte, un « simple marchepied », une pissotière, coin de passe autrefois surnommée « Bois de Boulogne », prétend aujourd’hui se verticaliser, s’incarner, nous analyser voire même, nous psychanalyser… ?!

Tchippp…… !

Elle entend déjà -prévient-elle- ses détracteurs s’esclaffer : « Pour qui se prend-elle, celle-là ? Elle n’arrive même pas à la cheville de la Place Concorde ni aux Orteils de Central Park ni au plat du pied de Tien An Men !.(…)« un bout de terrain de merde qui s’agrandit et rétrécit, tantôt carré tantôt rectangle tantôt octogone, au fil des élections municipales depuis l’abolition de l’esclavage en 1848, qui n’arbore même pas de plaque à son nom et que le premier venu piétine sans vergogne. Un moignon de pelouse maigre zoquelette (...)et qui rétrécit parking après parking ».

A ceux-là, elle répond : Ouais-ouais, je sais ! je sais ! il n’y a pas de quoi fanfaronner, mais il y a une chose, au moins une chose, qu’aucun forfantier ne pourra m’enlever. Mon nom : La Savane. Il évoque les espaces infinis d’Afrique-Guinée, notre mère à tous, les haciendas à perte de vue de la Patagonie, la vastitude des prairies du Far West. Enfin, avec un brin d’imagination, je veux dire ».

Ce que les autres pensent d’elle ou disent d’elle, LA SAVANE n’en à cure ! Elle a son admirateur, Monsieur NESTOR, « ce vieux corps dont on assure qu’il est entré dans la cent-dixième année de son âge (…) », qui lui susurre à l’oreille quotidiennement qu’elle serait :

«  le cœur chamadant non seulement de cette cité tropicale au charme indéniable (..) mais aussi de toute la Martinique et même, oui, et même ça sans exagération aucune de l’Archipel des Antilles en son entier, depuis Cuba la septentrionale jusqu’à Trinidad la Méridionale ».

D’ailleurs, c’est à lui qu’elle confie le soin de consigner cette mémoire.

Ce vieil homme, nous dit-elle, « qui s’est pris de passion pour moi, et qui, à force de me fréquenter, a fini par traduire mon langage et à le transborder dans celui des créatures bipèdes. Il se veut mon scribe, mon interprète, mon passeur d’émotions, mon révélateur d’évènements aujourd’hui occultés ». 

Après tout, cela fait des temps immémoriaux que les humains, elle les observe.

Elle a connu, les Awaracks et les Caraibes alors qu’elle n’était encore qu’une mangrove,…Belain D’esnambuc, « le découvreur »(qu’elle a soin de mettre entre deux guillemets), les rivalités entre Anglais, Français et Hollandais, Maximilien d’Autriche, futur roi du Mexique, Joséphine, les insurrections et révoltes d’esclaves…l’abolition…l’arrivée de premiers chinois du Canton et des premiers Hindous de Pondichéry, le débarquement du Roi Béhanzin du Dahomé… !

Elle prétend d’ailleurs que « c’est le jour de sa débarquée ici-là que ce bout de terre, ce terrain vague, en plein Foyal, fut consacré place de La Savane (39) ».

Elle est également porteuse de la mémoire d’une histoire plus contemporaine : la 1ere et la 2de guerre mondiale, l’Amiral Robert, la dissidence, les émeutes sanglantes de décembre 1959, la venue De Gaulle, en Martinique, et son discours sur La Savane ; et de tant et tant d’autres événements !

Mais en réalité, elle n’a pas beaucoup d’intérêt pour la grande histoire livresque, celle-là, elle la laisse pour sa voisine, la Bibliothèque Schoelcher !

Ce qui l’intéresse avant tout, est de relater comment le peuple a vécu ces grands événements… !

Elle met ainsi à une égale mesure la grande et la petite histoire, dont elle fut maintes et maintes fois le principal théâtre, et parfois même, l’unique témoin... !

A l’inverse des créatures humaines, nous livre-t-elle :« moi, La Savane, je tiens en égale estime la petite histoire. Celle qu’aucun grimoire, aucune archive, aucun parchemin ni livre ne consigneront, mais qui, de générations en génération, perdurera dans les mémoires jusqu’à ce qu’elle finissement par se dissoudre dans l’implacable moulin qu’est le temps ». (23)

Combien de fois, d’ailleurs, la grande histoire sera-t-elle convoquée pour favoriser l’écriture de la petite, en bien ou en mal, d’ailleurs… !

Tenez par exemple… ! La Savane nous y conte, comment le passage de De Gaulle, en Martinique, sur sa pelouse, va nourrir les espoirs d’Amélya, Négresse en déveine, au détour de sa rencontre avec le grand général…je n’en dis pas plus.. !

Il ne s’agit pas d’un récit historique et linéaire, nous prévient-elle : « je sais gré à mon scribe, Monsieur Nestor, d’enjamber allègrement les années et les siècles ou de les mélanger à sa guise »!

Et, lorsqu’elle n’a pas assisté elle-même à certains faits, elle les tient de NESTOR, son complice, et fervent lecteur du Rénovateur, malgré le peu d’estime qu’il a pour Casoar, son rédacteur, et qu’il tient pour une feuille de chou… !

Oh, elle le sait …il n’est pas parfait son NESTOR, elle lui soupçonne quelques coquineries !

Ne l’a-t-elle pas entendu concéder sans vergogne : «  Bon, j’aime quand les touristes me prennent en photo et que de jolies mesdames à la peau rosée et aux cheveux couleurs de mangue-zéphirine m’enlacent juste avant le flash. Ça me fait des frissonnade au fond de mon pantalon, même s’il ne me reste plus qu’une moitié de petit doigt et deux grains de café affreusement fripés » (17).

Mais bon… ! Elle lui pardonne ce qu’elle appelle ses « cochoncetés ». Tout ça n’est rien ! Il est son scribe, son pilier, son complice, et elle aime converser avec lui… !

C’est qu’il a de la culture son NESTOR… ! Elle adore l’écouter donner le change, à ce jeune mulâtre, prétentieux de Frédéric Saint-Honoré…Combien de fois ne lui-a-t-il pas cloué le bec !

Il ne se laisse pas impressionner mon NESTOR, et n’hésitant pas à lancer à qui veut l’entendre : « Man sé yich Lénin épi De Gol ! Sa ki pas kontant toufé ! ».

Ils s’échangent les petits secrets des uns et des autres, et, bien souvent, c’est de NESTOR qu’elle finira par connaitre le fin mot d’une affaire… !

Tiens, combien de fois a-t-elle assisté au petit ballet des lycéens dans son « l’Allée des soupirs », qui, de petits mots doux échangés en rendez-vous, finissaient par disparaitre du côté de la Maison des sports… ?!

Eh bien, selon NESTOR, ils n’y allaient pas pour admirer les escrimeurs, mais pour se faufiler dans des salles laissées vacantes… ! et ça, moi, La Savane, je m’en doutais bien…et je ne me prive pas de le raconter !

Elle lui révèle aussi des événements ou des faits divers, dont elle a été l’unique témoin, comme l’affrontement entre les 2 nègres majors Le fils-du-diable-en personne et Bec-en-or : « un mardi après-midi en pleine saison de carême », et au terme duquel il y aura qu’un gagnant ! Je vous laisse découvrir lequel… !

Mais NESTOR rebondit à chaque fois sur tout ce que je dis, et c’est lui qui me racontera les circonstances dans lesquelles le chemin de Bec-en-or, a pu croiser celui de Frantz Fanon, lors de son départ en dissidence… !

Je vous conterais bien l‘escroquerie de « La vierge dite du grand retour » à laquelle ont cru tant de désespérés, au premier rang desquels Améliya, encore elle - la pauvre -, négresse en déveine encore et toujours… ! Mais bon, il faut bien que je vous laisse un peu de lecture… !

Je terminerai en vous disant pourquoi j’ai aimé ce livre… !

J’ai aimé sa jaquette, ses couleurs, la stylisation de la photographie de l’Allée des soupirs avec Fort Royal, alias Fort-de-France, alias Foyal, en perspective !

J’ai aimé, le style de l’écriture, le va-et-vient des expressions créoles francisées et inversement, et qui donnent toute sa poésie à notre « parlure » !

J’ai aimé y retrouver des récits que s’échangeaient mes grands-parents, oncles et tantes et ma mère, durant mon enfance, et dont j’avais du mal à croire à la vraisemblance !

J’y ai retrouvé réponse à des questions que je me posais sur un personnage, que, collégienne à Ernest Renan, je croisais parfois à la rue Schoelcher ou dans le jardin de l’ancien Palais de justice, et qui, pour moi aussi était une énigme : Jésus !

Bref… ! c’est avec ravissement que j’ai plongé dans ces histoires qui font que je me sens si profondément Foyalaise et Martiniquaise… !

Je remercie l’auditoire de m’avoir écoutée.

Margaret TANGER
A Foyal, le 04 avril 2025

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